Comportements
expressifs des fourmis et marques associées aux inclusions.
L'interprétation des comportements fossiles des fourmis ne peut se faire qu'à la lecture préalable des indices qui marquent les inclusions. Le succin est une matrice "vivante" qui a conservé de façon incroyable, en profondeur, dans sa gemme, les traces expressives de sa genèse. En simplifiant on peut dire que les traces significatives (qui existent toujours dans une gemme copal ou ambre et sont au nombre de 8). La mise en concordance de ces traces logiques est un peu comme l'explication argumentée d'un médecin légiste qui cherche les indices pour raconter une scène de crime. L'ambre permet une lecture exploratoire étonnante de précision dans l'instant (précis à la seconde!) et dans le rapport interspécifique des individus entre eux figés dans la microscènose. L'ambre est l'état induré ("fossilisé") d'une oléorésine à l'origine fluide qui a conservé des marques originelles et qui a également été marquée par la succession d'évènements dynamiques antiques. Les marques originelles et les évènements successifs retardés permettent de restituer l'histoire du piégeage. Si les insectes figés dans la résine peuvent restituer des attitudes restées expressives, ces comportements ne peuvent être appréhendés qu'en observant les forces appliquées aux acteurs qui peuvent dénaturer les attitudes. La lecture décryptée des comportements fossiles doit se faire en mesurant d'abord le caractère des 8 traces possibles attachées aux insectes. Ces indices (liés aux écrasements, aux fluages, aux mouvements d'agonies, etc.) permettent de dire l'expression réelle des acteurs placés dans l'écrin de résine. En simplifiant on peut dire qui est possible de lire une "paléo-ethologie" par les fossiles de l'ambre.t |
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Le
magazine LA RECHERCHE proposait dans
son numéro 288 de Juin 1996 un concours scientifique, dans lequel
il fallait jouer au myrmécologue - ethnologue en étudiant
la pièce d'ambre baptisée Jorge Caridad. Il fallait échafauder
un scénario probant basé sur l'observation détaillée
de l'échantillon expliquant la capture de 88 fourmis dans le piège
de la résine. Le résultat, onze pages, a été
publié dans le numéro 298 de Mai 1997.
Eric GEIRNAERT est l'heureux gagnant de ce concours international consacré à l'étude d'une pièce d'ambre... L'échantillon sujet de ce concours ne mesure que trois centimètres de coté. Ainsi la preuve est faite de toute la richesse que peuvent apporter de simples mais minutieuses observations judicieusement interprétées; c'est en même temps reconnaître la qualité des observations de l'auteur. |
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Le
fossile d'ambre contenant les fourmis est devenu le fétiche de
Pedro Duque, premier astronaute espagnol. |
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![]() Le détail d'une ouvrière qui transporte une pupe. La fourmi est piégée latéralement. |
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Dans
un exercice d'un genre inédit, nous proposons aux lecteurs de La
Recherche de participer eux-mêmes à un travail de recherche
scientifique. Ceux qui resteront spectateurs apprécieront l'extraordinaire
document que peut représenter une petite pièce d'ambre de
trois centimètres de côté datant de trente millions
d'années. Elle
l'est aussi en raison de la présence exceptionnelle d'inclusions
d'insectes. Mais cette pièce est particulière. On observe
clairement par transparence une scène à laquelle participent
88 individus. Son double intérêt, scientifique et muséologique,
se traduit par plusieurs travaux devant paraître cette année
et par l'ouverture prochaine, au musée de Barcelone, d'une salle
entièrement consacrée à cet objet. La
grande majorité des acteurs de la scène sont des fourmis
d'une même espèce, dans tous les stades de leur développement
: des oeufs (c'est le premier morceau d'ambre de l'histoire où
apparaissent des oeufs de fourmis), des larves à divers stades
de croissance, des pupes* (ce sont les premières
pupes de la famille des Dolichoderinae décrites dans de l'ambre)
et des ouvrières. Le
premier intérêt scientifique de cette pièce est taxinomique.
Une étude sur le point de paraître démontre qu'il
s'agit d'une espèce disparue, encore non décrite, appartenant
à un nouveau genre. Il faut donc réinterpréter la
phylogenèse de la sous-famille des Dolichoderinae. Cela implique
une nouvelle discussion sur l'histoire des sous-familles de fourmis, avec
d'importantes conséquences biogéographiques. Mais
le plus intéressant est sans doute ce que cette pièce d'ambre
nous apprend sur le comportement des individus de la colonie et les faits
survenus pendant les instants qui ont précédé l'inclusion.
Voici presque tout ce que nous savons, pour le moment, sur la pièce
JC. La
pièce JC est un morceau d'ambre dur très transparent, avec
très peu de bulles et d'impuretés. Elle
remonte à l'Oligocène (une datation chimique indirecte indique
environ 25 millions d'années d'ancienneté). Sa forme, à
l'exception d'une petite protubérance, est pratiquement celle d'un
parallélépipède. Ses dimensions sont de 32,5 x 21,16
x 9,75 mm. Elle pèse 4,164 g. Elle provient de la mine de Palo
Quemado, à environ dix kilomètres au nord-est de Santiago,
dans la cordillère septentrionale de l'île. Elle
contient quatre-vingt-huit inclusions d'insectes, la plupart en parfait
état de conservation et visibles sur la figure
1. Deux techniques habituelles en physique et en ingénierie
permettent ici de se faire une idée de la structure de la pièce
: l'éclairage monochromatique (1) et ce que
l'on appelle la photoélasticité (éclairage à
lumière polarisée). L'éclairage
à radiation monochromatique de 370 nm révèle la structure
des couches d'ambre ou, ce qui revient au même, celle des lignes
de courant du flot de résine qui a coulé avant de se figer
pour donner à la pièce son aspect actuel. Selon qu'on l'observe
depuis sa face A, B ou C, on distingue plusieurs lignes de courant.
L'éclairage
à la lumière polarisée, conçu afin d'éviter
des artefacts de biréfringence, révèle bien la structure
des tensions internes. La figure 5 montre l'aspect photoélastique
de la pièce sur ses faces A ou B et la figure 6 le détail
des tensions autour d'un individu. La
pièce contient 88 individus presque tous situés autour d'un
même plan, comme on peut l'observer sur la figure 9b et d. La figure
7 montre un dessin de la face A de la pièce avec les détails
des inclusions. Une grille superposée aide à localiser chaque
individu. La
plupart des inclusions correspondent à une partie d'une colonie
de fourmis surprises pendant qu'elles transportaient leurs sujets immatures.
Ces fourmis, comme il sera publié à part (2),
appartiennent à une nouvelle espèce et à un nouveau
genre qui oblige à réorganiser la sous-famille des Dolichoderinae.
Sur les 88 individus englués dans la pièce, 82 représentent
différentes phases du développement de cette espèce
de fourmis aujourd'hui disparue. Ils
sont distribués de la sorte : 37 ouvrières bien conservées,
36 larves (à différents stades de croissance), 19 pupes
«nues» et trois groupes d'oeufs. Il n'existe aucun précédent
d'oeufs de fourmis conservés dans l'ambre, pas plus que de pupes
de cette sous-famille. La
position des fourmis révèle plusieurs détails intéressants.
Tout d'abord, on peut établir un lien entre chaque ouvrière
et, disons, un individu immature transportable, qu'il s'agisse d'une grande
larve ou d'une pupe, d'un paquet d'oeufs ou d'un paquet de petites larves.
Autrement dit, chaque ouvrière paraît être en train
d'accomplir son devoir, consistant à transporter, ou à mettre
à l'abri, un élément immature. Elle y met parfois
un tel zèle qu'il lui arrive de blesser le malheureux transporté
(c'est le cas de l'ouvrière et de la larve des coordonnées
24-25/g-h) ou d'emporter un morceau entier de son prétendu protégé
(c'est le cas de l'ouvrière et de la pupe des coordonnées
15-16/b-d). D'autres détails valent d'être cités.
Par exemple, le fait que les ouvrières tiennent les larves ou les
pupes indistinctement dans un sens ou dans l'autre. Voyez les cas opposés
de l'ouvrière et de la pupe en 16-18/e-f, et de l'ouvrière
et de la larve en 24-25/g-h et 19-20/g-i. Tout cela paraît indiquer,
si l'on admet que dans des conditions normales les ouvrières ont
tendance à tenir les immatures toujours de la même façon,
que nous sommes en présence de réactions de tension et de
stress. Un
autre détail très clair est celui des trois paquets d'oeufs
situés en 10-11/j-k, en 24-25/k-l et en 18-19/e-f. Ces paquets
sont «tombés par terre». Si on les regarde depuis la
face A, on voit qu'ils précèdent tous les autres corps,
ce qui permet de conclure, sans l'ombre d'un doute, que, depuis cette
face, on observe la pièce par «en bas». Et voici un
autre détail qui n'échappe pas à l'attention de l'observateur
curieux : les positions et les directions des individus ne semblent pas
distribuées au hasard. Il faut, tout d'abord, choisir des critères
pour mesurer les directions. Une étude statistique des directions s'impose. Y a-t-il des directions privilégiées ?
Une
inspection immédiate suggère, en effet, qu'il semble y avoir
deux directions particulièrement peuplées et perpendiculaires
entre elles. Mais attention aux statistiques de directions ! Un angle
de 1° ressemble davantage à un angle de 358° qu'à
un de 8°. Ce qu'il nous faut ici, c'est, bien sûr, une statistique
vectorielle. Tous
les individus ne sont cependant pas de la même espèce. Dans
une zone peu visible, on trouve même une nymphe de mante religieuse
mal conservée. On voit ses pattes aux coordonnées 20-21/q-r,
son abdomen en 21/o-p et sa tête se cache, antennes comprises, en
21/s-t. Dans la zone 7-8/l-m, mais dans un autre plan, il y a un moustique
parfaitement conservé : ses ailes et ses antennes sont intactes
et entières. Il
y a aussi deux thysanoptères, en 4/f et en 18/r, tous deux également
dans un autre plan que les membres de la colonie. Et pour en finir avec
notre recensement, il y a deux autres fourmis d'espèces différentes,
toutes deux sans tête et toutes deux à la périphérie
de la pièce. L'une des deux est un mâle ailé (19/a-b)
et l'autre est le corps d'un autre individu (18-19/t). La présence
de ce dernier a d'intéressantes implications biogéographiques
(3). La
pièce JC nous invite à un exercice de taphonomie, c'est-à-dire
une enquête pseudopolicière pour laquelle on peut s'appuyer
sur la mathématique (statistique circulaire, analyse de composants
principaux), sur la chimie (datation indirecte), sur la physique (photoélasticité,
radiation monochromatique, dynami-que des fluides) et sur la biologie
(entomologie, éthologie, biogéographie). Que
s'est-il réellement passé ? Quelles sont les bonnes
questions ? Voici plusieurs hypothèses. Beaucoup
d'autres informations méritent d'être exploitées.
On décèle des indices des tout derniers gestes de certains
individus. Rappelons que les ouvrières ont une grande mobilité
(au moins deux individus sont en position apparente d'alarme), tandis
que celle des larves est très réduite et que les pupes et
les oeufs n'ont pas de capacité de mouvement autonome. Voici,
pour terminer, un bref résumé de certains détails,
peut-être significatifs. Le
lecteur est invité à construire une histoire qui réponde
à ces questions, à proposer une séquence d'événements
sur l'avant- et l'après-JC. En gardant à l'esprit que l'histoire
de la connaissance scientifique est probablement plus l'histoire des bonnes
questions que celle des bonnes réponses. Le lecteur est aussi invité
à formuler d'autres questions et d'autres suppositions et, naturellement,
à demander aux auteurs un complément d'informations. Nous
avons nous-mêmes abouti à une conclusion. Mais le lecteur
peut, s'il le souhaite, nous faire parvenir ses propres conclusions, par
l'intermédiaire de la revue. Nous en tiendrons compte pour la rédaction
du second article que nous avons l'intention de publier, et dans lequel
nous détaillerons notre raisonnement. Nous montrerons, le cas échéant,
que toutes ces données peuvent s'accommoder de plusieurs vérités
possibles. JORGE
WAGENSBERG, Museu de la Ciència de la Fundacio «la
Caixa», 22 Barcelona (Espagne).
(1)
Grimaldi, Amber. Window to the Past, Harry N. Abrams, Inc. Publ., AMNH,
1996. |
La signature de Monsieur Jorge Caridad,
le découvreur de la très célèbre pièce d'ambre.
![]() |
Le mystère de la chambre jaune (suite et fin) ![]() Des fourmis, plus stressées que d'autres, sous une pluie de résine Jorge Wagensberg, C. Roberto F. Brandão et Cesare Baroni Urbani La
Recherche, n° 298, mai 1997
Trois
centimètres de côté. Vingt-cinq millions d'années.
Il y a quelques mois, nous vous proposions de jouer les chercheurs éthologues
en nous envoyant le scénario le plus probable ayant conduit à
l'emprisonnement de 88 fourmis dans un petit morceau d'ambre surnommé
«Jorge Caridad». La question posée était simple : quel scénario avait conduit il y a vingt-cinq millions d'années des fourmis à se retrouver prises au piège dans la pièce d'ambre baptisée «Jorge Caridad» ? Nous vous proposions de reconstruire ce scénario à partir de l'observation attentive de cette pièce et de la lecture de la première partie de notre article. Voici,
présentée en onze étapes, notre reconstitution
de l'histoire de «Jorge Caridad».
Si
l'on observe attentivement le diagramme des efforts, on s'aperçoit
que le motif figé dans l'ambre est aussi compatible avec la participation
de deux gouttes tombées en O' et O" au lieu d'une seule tombée
en O. Ou - ce qui est encore plus curieux - avec celle d'une source de
gouttes qui aurait occupé deux positions différentes. A
ce stade de l'enquête, aucun élément ne permet de
trancher entre ces deux solutions (un ou deux points d'impact) et, à
première vue, le choix d'une solution plutôt qu'une autre
paraît avoir peu de répercussion sur la suite de notre raisonnement.
A une exception près : l'option «deux gouttes» pourrait
expliquer l'existence des deux directions perpendiculaires suivies par
les fourmis. Il suffit en effet de penser que les deux gouttes pourraient
provenir de la même source, par exemple de l'extrémité
d'une même branche. Deux gouttes issues d'un seul et même
point mais qui, observé à deux instants différents
depuis un repère solidaire de la scène, serait comme «dédoublé».
Quant aux deux directions perpendiculaires : que signifient-elles ?
S'agit-il de deux chemins de fourmis qui se croisent ou d'un seul et même
chemin qui a tourné ? La première solution est difficilement
acceptable : il faudrait en effet admettre que la goutte soit tombée
précisément là où les deux longs trajets se
rencontrent. Phénomène peu probable. Mais il est tout aussi
peu réaliste de supposer un tournant à 90 degrés
exactement. Aucune des deux solutions n'est donc convaincante.
De
façon générale, l'épaisseur e d'une couche
peut être directement reliée au volume v de la goutte qui
lui donne naissance et au temps t nécessaire à l'accumulation
de ce volume v. Etant donné l'équidistance des couches,
il est probable que les différentes gouttes constituant la pièce
ont été relâchées de l'arbre à intervalles
réguliers, un peu comme celles qui sortent d'un robinet mal fermé.
En
effet, dans un endroit aussi clos, la saturation des phéromones*
aurait vraisemblablement empêché les fourmis de s'organiser
en une (ou deux) direction(s) privilégiée(s) par recrutement*.
Il existe, en outre, une seconde information essentielle pour établir
que la scène s'est bien produite en plein air : dans l'une des
couches postérieures (plus récentes) à celle qui
contient les fourmis, on peut voir en 7k un moustique en très bon
état de conservation. Or, les moustiques ne volent pas à
l'intérieur des fourmilières... Nous sommes donc en définitive
en présence d'un double recrutement organisé qui a lieu
à l'extérieur d'un nid. Pour quelle raison les fourmis ont-elles
abandonné leur nid ? Qu'étaient-elles en train de faire ?
Vers où se dirigeaient-elles ? La résine a-t-elle enregistré
voici vingt-cinq millions d'années une habitude, une situation
exceptionnelle ou les deux en même temps ?
Il
est effectivement établi que les fourmis nomades synchronisent
leurs déplacements avec les phases de développement de leurs
individus immatures. Elles peuvent être surprises en train de déplacer
des oeufs et des pupes, ou en train de transporter des larves, mais jamais
en train de transporter en même temps des oeufs, des larves et des
pupes. Il
est par ailleurs hautement improbable qu'il puisse s'agir de fourmis migratoires.
Un tel transport serait chez elles tout à fait inhabituel et aucun
comportement de ce type n'a jamais été décrit chez
les fourmis actuelles de cette sous-famille. Les fourmis sédentaires
ont deux comportements possibles. Elles peuvent être monocaliques
(si elles ont un nid unique) ou polycaliques (si elles occupent plusieurs
nids à la fois). Dans le second cas, il s'agit, en général,
de mauvaises excavatrices ou de mauvaises constructrices qui ont, par
conséquent, plutôt tendance à profiter des cavités
ou des fissures déjà existantes. Les besoins de la colonie
étant souvent supérieurs à la capacité offerte
par un seul de ces abris naturels, les fourmis en occupent donc plusieurs
- en général quatre ou cinq - voisins les uns des autres.
En conséquence, le transport des fourmis immatures destiné
à les adapter aux changements de température et d'humidité
s'effectue dans l'espace extérieur commun aux différentes
sous-fourmilières. Nos
fourmis sont donc vraisemblablement polycaliques. La croisée des
deux trajectoires, précisément au centre de la pièce
n'est alors plus si étonnante. En effet, le petit espace sur lequel
donnent, admettons, cinq entrées de fourmilières, peut contenir
cinq doubles colonnes de fourmis (dix colonnes en tout). Un
tel trafic nous donne une probabilité raisonnable de points de
croisements entre deux colonnes. Un croisement de ce type à un
angle de 90° a très bien pu se produire sur une couche de résine
à demi sèche, juste avant qu'il ne pleuve une seconde goutte.
En a-t-il vraiment été ainsi ? Y a-t-il eu une alerte
générale dans la colonie ou bien celle-ci a-t-elle été
surprise ? L'identification dans la pièce d'ambre de manifestations
de stress nous permet d'aller plus loin dans l'interprétation scientifique
de la scène.
Par
ailleurs, il semble y avoir eu une alerte préalable qui a incité
les fourmis adultes à emporter les immatures hors du nid de façon
inhabituelle et précipitée (remarquez les différentes
façons dont les adultes attrapent les immatures). Il faut savoir
que le stress du moment de l'inclusion est fréquemment observé
chez l'insecte qui se trouve englué dans l'ambre. En revanche,
le stress «historique», c'est-à-dire relié à
un événement antérieur à l'inclusion, n'a
été observé que sur cette pièce.
Nous
voici presque au bout de notre recherche. «Jorge
Caridad»
La
perception des adultes essentiellement tactile et chimique est envahie
de données alarmantes (2). Quelque
chose de poisseux et de très odorant semble envahir leur domaine.
Les fourmis responsables des immatures sont pressées et soucieuses,
à tel point qu'elles ne se donnent plus le temps de les saisir
dans les règles de l'art (3). Au-dessus
de la fourmilière, une plante, une Hymenaea, dont les racines s'étendent
dans tout le sous-sol, commence à exsuder de la résine de
façon anormale (4). Le mot d'ordre
est lancé : il faut abandonner ce sous-nid avant qu'il ne soit
trop tard. Il y a de l'urgence dans l'air mais pas de panique. Les fourmis
chargées qui d'une larve, qui d'une pupe, qui d'un paquet d'oeufs,
atteignent la sortie (5). Là, elles
trouvent la piste des phéromones qui conduit par l'extérieur
à l'entrée d'un autre sous-nid. La trajectoire des fourmis
alarmées croise celle d'autres fourmis qui le sont moins qu'elles
(6). Il y a donc une routine ordinaire doublée
d'une alarme extraordinaire. La résine descend des troncs et des
branches d'arbres (7) et, de temps en temps,
les gouttes se détachent et viennent s'écraser sur le sol.
Par terre, elles s'accumulent en certains endroits et dans certaines cavités.
Les taches de résine à terre (8)
sont peut-être tombées pendant les heures de chaleur de la
veille, ce qui explique pourquoi leur surface a déjà acquis
une certaine rigidité. Deux trajectoires, qui forment un angle
de 90°, se croisent exactement sur l'une de ces taches à demi
sèches (8). Les fourmis sont un peu
perturbées lorsqu'elles croisent leurs congénères
mais, très vite, retrouvent la piste des phéromones. Il
en va toujours ainsi sur la «place du village». Mais, aujourd'hui, quelque chose de nouveau semble se produire. Le croisement se fait sur une plaque de résine à demi-sèche et quelques fourmis deviennent nerveuses. Leurs pattes s'enfoncent bien trop vite dans ce sol mou et une maudite odeur envahit petit à petit le terrain. Les ouvrières qui transportent les oeufs progressent plus doucement ; elles doivent accomplir des miracles d'équilibre pour avancer sans lâcher cette masse molle difficile à saisir. Celles qui tiennent les larves et les pupes les serrent plus fort entre leurs mandibules parce que le sol se dérobe sous leurs pattes et que l'odeur de résine couvre celle des phéromones. Certaines font même tomber leur précieux fardeau. Les choses en étaient là ... lorsqu'une grosse goutte de résine fraî- che s'est brusquement détachée d'une branche recouvrant les deux colonnes d'insectes (9). Quelque temps après, d'autres gouttes retombèrent au même endroit. Et vingt-cinq millions d'années plus tard, une scène éthologique étonnante était découverte dans une mine de la République dominicaine...
Si
ce récit s'avère le bon, nous sommes en possession d'une
observation scientifique rare : celle d'une retraite organisée,
d'un recrutement d'alerte générale chez des fourmis polycaliques.
Bien sûr, la prudence s'impose : une nouvelle technique, une nouvelle
idée, une nouvelle donnée peuvent faire basculer d'un coup
la vérité que nous avons construite. Cette pièce
d'ambre contient toute l'information sur la mésaventure de ces
fourmis : à nous, chercheurs, éthologues, entomologistes,
professionnels ou amateurs, de reconstituer le plus précisément
possible cette histoire, en évitant soigneusement les pièges.
Rares sont les morceaux d'ambre à inclusions qui ont fait l'objet
d'autant d'attentions que «Jorge Caridad». Une enquête
scientifique qui n'est pas encore achevée puisque cette pièce
restera, au musée de la Science de la fondation «La Caixa»,
à la disposition de tous ceux qui souhaiteront poursuivre son étude. C'est
ainsi, nous en sommes convaincus, que l'expression «pièce
de musée» prend son plus beau sens et que l'idée
de musée est la mieux illustrée. Celui-ci n'a-t-il pas pour
vocation première de construire et transmettre aux spécialistes
et non-spécialistes à la fois la connaissance et la méthode
scientifiques ? JORGE
WAGENSBERG, Museu de la Ciencia de la Fundacio «la Caixa»,
22 Barcelona (Espagne).
|
L'ambre
est un conservateur géologique qui ne résiste pas au temps...
L'échantillon d'ambre baptisé Jorge-Caridad extrait de la mine Palo Quemado, en février 1995 montre déjà des signes inquiétants d'altération à l'air et à la lumière... L'ambre se fissure et la gemme s'opacifie... Le fossile qui est actuellement exposée au Musée des Sciences de Barcelone sous la direction de Jorge Wagensberg, a des craquelures de surface. L'ambre dominicain (mais pas seulement) se consume à l'air et devient pulvérulent à la lumière... Les gemmes authentiques ne résistent pas au temps, d'où la tentation des faussaires d'améliorer les matières (souvent en autoclave) pour garder des matières lucratives qui seront vendues avec un certificat d'authenticité. D'ailleurs les chinois font une spéculation débridée sur l'ambre dominicain vendu à 1.000 $/g !!! |
Brandao, C.R.F. 1996.- Paleotologia. O Estude do comportamento de fóssies. XIV Encontro Anual de Etologia. Anais, Uberlândia, Brasil, XIV: 31-38. Brandao, C.R.F. 1998.- Estudos no Laboratório de Formigas do Museu de Zoologia da Universidade de Sao Paulo. Publicado en la página: http://bdt.org.br/bdt/formiga. Brandao, C.R.F.; Baroni Urbani, C: Wagensberg, J. 1996.- A new genus of Dolichoderinae (Hymenoptera: Fomicidae) in Dominican Amber, with a reappraisal of the phylogeny of the subfamily and a reconstruction of immature transport. XX. International Congress of Entomology, XX, Proceedings. Florença, Itália, C.I.E. p. 391. Brandao, C.R.F.; Baroni Urbani, C: Wagensberg, J & Yamamoto, C.I. (in press, 1998).-New Technomyrmex in Dominican amber (Hymenoptera: Formicidae), with a reappraisal of the Dolichoderinae phylogeny. Entomologica Scandinavica Wagensberg,
J. 1998.- "La Pedra Jorge Caridad". En: Atrapats en Ambre, Fundació
"La Caixa" p. 25. Wagensberg, J., Brandao, C.R.F. & Baroni Urbani, C., 1996. Le mystère de la chambre jaune. Exercice strictement réservé aux paléoéthologistes amateurs. La Recherche, Paris, 288: 54-59. Wagensberg, J., Brandao, C.R.F. & Baroni Urbani, C., 1996.- El Misterio de la pieza "Jorge Caridad". Ejercicio estrictamente reservado a paleontólogos amateurs. Mundo Científico, Barcelona, 171, 746-751. Wagensberg, J., Brandao, C.R.F. & Baroni Urbani, C., 1997.- Le mystère de la chambre jaune (suite et fin). Des Fourmis, plus stressées que d'autres, sous une pluie de résine. La Recherche, Paris, 298: 40-44. Wagensberg,
J., Brandao, C.R.F. & Baroni Urbani, C., 1997.- La pieza "Jorge
Caridad" (continuación y fin). Hormigas, unas más estresadas
que otras, bajo una lluvia de resina). Mundo Científico, Barcelona,
181: 620-624. |
Le fossile d'ambre Jorge
Caridad contenant
les 88 fourmis a voyagé dans l'espace
avec Pedro DUQUE !
Dès
qu'il y a des fourmis dans l'ambre, les histoires sont merveilleuses...
L'examen des fourmis antiques par une lecture taphonomique
des fossiles de l'ambre est une exploration passionnante.L
La lecture
exploratoire de la pièce d'ambre Jorge Caridad peut se
re-faire à l'identique (ou presque) sur d'autres fossiles où
les
fourmis transportent leur couvain...
Le cd-rom
LES
FOURMIS.
Le comportement des fourmis de l'ambre: 1/3,
2/3, 3/3.
Les ambres à inclusions les plus intéressants sont VRAIMENT ceux
nés au sol, lors d'une genèse horizontale (piégeage
en flaques).
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